vendredi 2 janvier 2015

Fractures franco-américaines

Je viens de lire l’ouvrage de Christophe Guillet qui est paru en 2010, intitulé Fractures françaises.  Si vous en avez entendu parler, c’est fort à parier que vous l’avez oublié aussitôt, d’autant que tant de livres qui prétendent expliquer le malaise français paraissent chaque année que l’on s’y perd. Dans le seul millésime 2014, on pourrait mentionner La France, le pays que l’on abat, par Natacha Polony et Suicide français, par Éric Zemmour (on doit remarquer que ce dernier a été un assez grand succès de librairie).  Il y en a bien d'autres.

Selon M. Guillet, la France populaire a été reléguée aux zones dites périphériques.  Ignorée, voire oubliée par la classe politique au profit des banlieues, la classe ouvrière (composée et des Français de souche et des Français issus de l’immigration européenne des années 1950 et 1960) reste néanmoins majoritaire.  Principaux bénéficiaires des Trente glorieuses, les couches populaires ont été les victimes de la mondialisation et la précarité qui en est la conséquence.  Le concept de la fameuse classe moyenne est trompeur dans la mesure où la notion des zones pavillonnaires solides qui existent en opposition aux banlieues n’est elle-même plus valide. Trente ans de chômage en masse ont fait s’effriter les bases de la classe moyenne, à un tel point qu’une partie importante de cette classe vit dans la précarité.

D’une part, en tant qu’Américain, j’ai un peu de mal à comprendre la différence, s’agissant de la France, entre « couches populaires », « ouvriers » et « classe moyenne ». J’ai l’impression que ces termes font référence plus ou moins à la même chose, tandis qu’au XIX siècle la classe ouvrière et la classe moyenne étaient bien différentes l’une de l’autre.  Dans Fractures françaises, « classe moyenne » et « couches populaires » semblent interchangeables, si j’ai bien suivi l’argumentation de l’auteur.

Mais voilà l’effet égalitaire des Trente glorieuses, aux USA comme en France.  La généralisation de la prospérité a transformé la classe ouvrière et en a fait des « salariés ».  L’époque des barricades est révolue, celle du pavillon est bel et bien arrivée.

Certes, l’ouvrier français était plus radicalisé que son homologue américain et continue à l’être, même à nos jours.  Malgré un taux de syndicalisation de plus en plus faible et en France et aux USA, la France est très souvent paralysée par des grèves, tandis qu’en Amérique, la grève n’est plus qu’un exercice de théâtre. En France, les syndicats ont une influence disproportionnée par rapport au nombre réel des syndiqués.

Selon Christophe Guilluy, la France périphérique peine à se faire entendre auprès de ce que l’auteur appelle les « prescripteurs d’opinions ».  Éloignés des grandes métropoles et ignorés, dans les deux sens du terme, par « la France qui compte », les couches populaires ont pourtant un poids électoral qui s’est fait sentir en 2007 ; leur colère se traduit à nos jours par l’essor du Front national.

Nous avons notre propre « Amérique périphérique ». Majoritairement blanche et ayant plus de 45 ans, habitant dans l’Amérique profonde et inscrite au Parti républicain, cette Amérique a eu du mal à digérer l’accession au pouvoir d’Obama et ne s’enthousiasme pas non plus pour l’immigration hispanique. Le métissage continu des USA donnera du fil à retordre aux Républicains aux prochaines présidentielles.  Cependant, les circonscriptions électorales, souvent faites sur mesure pour assurer la réélection des Républicains à l’Assemblée nationale (le Congrès) expliquent, en grande partie, la défaite cuisante subie par les Démocrates aux élections de mi-mandat (en novembre 2014).  Les vieux blancs hurlent en disparaissant.