samedi 14 juin 2014

L'anglais ferme des portes

Vous êtes des cancres en anglais et apparemment cela nuit à la compétitivité de la France dans le marché mondial.  Selon une étude réalisée par EF (Education First - voir l’article), la France se classe dans le dernier rang des pays comparables, derrière même les Espagnols et les Italiens.  La conclusion de létude est sans appel : la défense aveugle de la Francophonie et le peu de priorité dédié à l’apprentissage de l’anglais dans l’enseignement secondaire condamnent les Français à une faible maîtrise de la langue de Shakespeare.  Étant donné que l’anglais est devenu la langue mondiale des affaires, la France se trouve dans une situation désavantageuse par rapport aux pays du Nord.  Eux commencent l’anglais dès l’enfance et utilisent des méthodes bien plus efficaces que les vôtres.


Dans un premier temps, en lisant l'article, je remarque une autre tendance qui n’a rien à voir avec votre attitude vis-à-vis des langues étrangères.  Si vous êtes peu disposés à maîtriser l’anglais, en revanche vous êtes des adeptes de l’autocritique.  S’il arrive que la France soit en bas de classement dans une catégorie quelconque, vous avez l’air sinon de vous en féliciter, pour le moins de vous en délecter.  « Pauvre France » est la phrase que vous avez toujours aux lèvres.

Je suis originaire du pays qui est, au contraire, le moins enclin à l’introspection au monde. Il semble que les Français souffrent du même narcissisme que les Américains, en sens inverse.

Nous occupons le trentième rang dans le classement PISA en maths et cela a fait couler beaucoup d’encre ici.  Mais chez nous les mauvais résultats scolaires sont comme les accidents de voiture : c’est toujours la faute de l’autre.  Suite aux révélations troublantes, en Amérique il est rare que le caractère des Américains soit mise en cause (Les USA restent le premier pays du monde, malgré toutes les preuves qui suggèrent le contraire), tandis qu’en France j’ai la forte impression que les révélations comme celle concernant l’enseignement de l’anglais vous déchirent le cœur - on vous rappelle, encore une fois, que la France n’est plus ce qu’elle était. Par exemple, dans la presse française, la réforme du marché du travail chez vous est considérée comme un défi existentiel - « Les Allemands l’ont fait, et nous alors ? »

Ce que nous partageons pourtant, c’est l’allergie à la vraie réforme.  Qu’il s’agisse du changement climatique (USA), ou les 35 heures (évidemment, une spécialité hexagonale), et en France et aux USA des vifs débats se poursuivent sans que grand-chose ne change pour autant.  Je suis convaincu que la France et les USA sont les deux champions du monde en matière de difficulté de faire bouger les lignes sur les réformes qui comptent.  Les débats sur la réforme territoriale et le régime des intermittents du spectacle (vous en avez entendu parler ?) remontent au début des années 2000, sinon plus loin, alors que nous n’en finirons jamais avec la réforme de l’assurance santé et la réglementation sur les armes.

Mais je devrais revenir au sujet.  Personne ne pourrait nier qu’une meilleure maîtrise de l’anglais est un atout.  Cependant, en tant qu’anglophone, je me dois de dire que si la maîtrise de l’anglais peut ouvrir des portes dans divers domaines, la dominance de ma langue maternelle a eu aussi des effets pervers.

Dans un monde où tout le monde veut parler anglais, ce n’est pas la peine pour nous d’apprendre une langue étrangère. Jadis, les anglophones parlaient leur langue plus fort s’ils voulaient se faire entendre par les étrangers.  Aujourd’hui ils peuvent parler tranquillement, dans l’attente que leurs interlocuteurs puissent les comprendre facilement. Ceux qui ne parlent pas anglais ont envie de l’apprendre (sauf les Français, selon l’article).  J’ose croire qu’entre la frontière allemande jusqu’aux pays scandinaves un touriste anglais ou américain pourrait voyager en toute sérénité, sachant que la plupart des habitants du pays qu'il visite peuvent lui répondre dans un anglais impeccable.

Que c’est agréable quand tout le monde partage une langue commune ! Pour les anglophones, c’est un paradis terrestre.  Les autres langues et les cultures qu’elles représentent se sont inclinés gentiment devant le rouleau-compresseur anglophone.  On est désormais prêts à profiter ensemble de la mondialisation.  On n’a plus besoin de s’imaginer dans la place de l’autre, d’assimiler un esprit étranger, de lutter avec les difficultés de l’allemand, les subtilités du français.  La découverte des autres pays est désormais aussi belle qu’elle est facile.  C’est parti pour le libre-échange des idées, tout comme pour les biens.