samedi 9 novembre 2013

Le Pessimisme


D’après une enquête Ipsos réalisée en printemps auprès de plus de 6 000 Européens, les Français arrivaient en tête en matière de pessimisme, avec 97 % des ménages estimant que les choses iraient de mal en pire dans les années qui viennent.  Il fallait être surdoué pour l’emporter sur la concurrence : 94 % des Espagnols et 91 % des Italiens partageaient votre avis.

Vous étiez très clairs quant à vos inquiétudes : vous craigniez le déclassement, le déclin progressif du modèle social français et un avenir où vos enfants vivraient moins bien que vous en général. 

Peut-on y croire pour autant ? Les enquêtes qui sondent les sentiments des gens ne me semblent pas très fiables.  Rappelons-nous que les questions du sondage que je viens de citer portaient sur l’avenir et non pas le présent - il est normal que l’inconnu suscite des inquiétudes.  On peut donc être content du présent (ou pour le moins vivre un présent qui offre la possibilité de l’être), tout en prévoyant un avenir plein de doutes.  « Croyez-vous que vos enfants vivront mieux que vous ? » est une question faite pour saper la confiance.  La confiance, c'est une évidence que vous en manquez, car vous y répondiez majoritairement « non ». 

En tant qu’Américain je vous dirais que les choses ne peuvent être si mauvaises que ça. Puis je me rappelle que la France est un pays où un philosophe (Alain Finkielkraut) peut faire la une d’un hebdomadaire majeur (Le Point du 10 octobre).  C’est le pays de Sartre et Camus.  En France vous faites des réflexions et les réflexions mènent inéluctablement au doute.

Naturellement vous vous indignerez et me répondront dédaigneusement que je n’exprime que mon souhait si typiquement américain de voir le verre à moitié plein.  Nourri de mythes hollywoodiens, il m’est culturellement impossible de voir les choses en noir, si terribles qu'elles soient en réalité.

Mais si nous sommes un peuple qui a du mal à réfléchir, nous n’en sommes pas plus optimistes.  Le taux de confiance en l’avenir aux États-Unis a atteint un niveau historiquement bas ; il a en fait dégringolé depuis la crise de 2007-8. Le pessimisme n’est pas limité au domaine matérialiste non plus.  Dans un sondage réalisé en 2012 auprès de 2 000 Américains, deux-tiers se sont révélés inquiétés du déclin des valeurs traditionnelles. D’autres sondages rapportent que deux-tiers de mes compatriotes croient que l’Amérique est « sur la mauvaise voie ».

Malgré le regard positif que certains économistes et commentateurs français dirigent vers l’économie américaine, à mon avis vous n’avez pas grand-chose à nous envier, tout compte fait.  Bien sûr, le marché du travail et la réglementation excessive gênent la croissance en France, mais au-delà de la finance et les grandes entreprises internationales, ça ne va plus économiquement aux USA non plus - l’Amérique profonde a été particulièrement touchée par la désindustrialisation et le déclin de valeurs évoqué ci-dessus.  Notre inégalité des richesses ne cesse de s’élargir, la précarité menace d’anéantir la classe moyenne, la possibilité de faillite personnelle en raison des dettes médicales hante une partie importante du public américain (en dépit de la réforme de santé qui vient d’entrer en vigueur) et j’en passe.


Cependant, la photo que j’ai affichée ci-dessus serait une impossibilité aux États-Unis.  L’autocritique n’y franchit jamais une certaine limite.  Ici il faudrait que l’on en arrive au retour des conditions des années 30 pour que nous pratiquions l’auto-flagellation hexagonale.